Alimentation en fin de vie : ouvrons les frigos
Le Dr Marc MAGNET, médecin coordonnateur au sein de l’association PAPAVL MAD et spécialisé en soins palliatifs nous livre son témoignage sur l’alimentation en fin de vie : pour un appétit de vivre et de partager.
Force est de constater qu’il nous est indispensable de nous alimenter pour vivre, et parfois pour bien vivre. Combien de situations de notre vie autour d’un bon repas, instants de fêtes, de partage en famille ou au sein d’autres groupes constitués au long de nos parcours personnels ou professionnels ? Une certaine façon de tisser et resserrer les liens sociaux et ce jusqu’aux derniers moments et derniers repas de notre vie.
Belle vie, bonne santé par la table
Notre vie ne commence-t-elle pas souvent par un biberon qu’il faudra finir, puis d’une viande dont le sort sera identique, puis un peu plus tard d’une soupe et puis « encore une cuillère, tu ne vas pas laisser ça … » ?
Il faut finir. Il faut manger car comment bien grandir, aller mieux, se rétablir si l’on ne mange pas ? Combien de familles ne nous ont-elles pas aussi dit la place de l’alimentation dans leurs cultures, leurs traditions ? Une vie en bonne santé, une belle vie ne se passerait-elle pas bien souvent à table ?
L’alimentation ici naturelle, familiale, festive mobilise le groupe, la société. Il n’est pas rare également de la considérer comme un outil de négociation, d’opposition (grève de la fin ou refus de s’alimenter dans une situation de grande solitude, de détresse). Alors qu’adviendra-t-il si une personne ne mange plus ? Que se passe-t-il ? N’existe-t-il pas un risque de dénutrition ? Un risque ou plutôt une réalité inéluctable qu’il nous faut reconnaître, accepter en accompagnant ce proche dont la fin de vie approche.
Dénutrition : Accompagnement d’un patient
Pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la dénutrition représente l’état d’un organisme en déséquilibre nutritionnel. Ce déséquilibre nutritionnel est caractérisé par un bilan énergétique et/ou protéique négatif. La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié de nombreuses recommandations en ce domaine. Mais en fin de vie, ce déséquilibre peut-il et doit-il être compensé ?
À un stade avancé de la maladie et dans un contexte de soins palliatifs, il s’avère impossible pour le patient de retrouver « l’équilibre nutritionnel ». Bon nombre de publications et nos connaissances actuelles sur la question l’approuvent. Ainsi, nous avons le devoir d’accompagner patients et familles, dans une démarche de compréhension, d’acceptation de cette limite.
Le projet de soin devra alors parler de confort et d’alimentation plaisir. Il évitera les situations où le patient sera contraint, obligé, parfois limité dans son autonomie par des dispositifs de cathéter, de pompe. En effet, ces appareils peuvent être inconfortables, voire douloureux, des sensations bien inutiles quand on est en fin de vie.
La famille : un acteur au cœur du soin
Rappelons-le, nous intervenons à domicile. Alors OUVRONS LES FRIGOS ! Nous n’en serons pas moins compétents, sérieux, professionnels, car tout est là… De quoi faire un flanc aux œufs, un lait de poule, une petite cuillère de confiture, un chocolat peut-être et pourquoi pas l’accompagner d’un petit verre de porto. Des aliments plaisir, douceur avec malgré tout des vertus nutritionnelles. Accompagnons donc les familles, mais également les soignants, auxiliaire de vie, aide-soignante, diététiciens, infirmiers et médecins pour qu’ils s’inscrivent dans ce projet.
La famille en priorité redevient acteur du soin. Elle prépare un temps et un espace convivial, de petites portions, les décore, les présente dans de petites assiettes. Les proches ne viennent pas « faire manger le patient ». Ils partagent un instant avec lui. Il se peut que l’assiette ne soit pas finie. Peu importe ! Il n’y a pas ici de calories nécessaires mais la notion indispensable d’un partage, d’un instant de plaisir, de respect de ce qui est possible, acceptable pour le patient.
Ensuite prenons conscience de la souffrance ajoutée, pour ce patient, que représente cette obstination déraisonnable à vouloir le « faire manger ». Il ne « mourra pas de faim ». Cette inquiétude est bien souvent exprimée par les familles. Mais combien sa fin de vie, de même que le lien que nous gardons avec lui, pourraient être plus paisibles, nous préparant ainsi à cette issue bien difficile à accepter. Alors « ouvrons les frigos » mais sans obligation et sans l’indispensable certitude d’y trouver quelques chose…Pensons y seulement. Un petit plus de plaisir… peut être…
Alimentation en fin de vie : pour aller plus loin
Je vous conseille le livre « Cuisiner le plaisir », ouvrage auquel j’ai participé et qui traite de l’alimentation en fin de vie. Cet ouvrage est préfacé comme suit par Mr. Claude EVIN, ancien Ministre : “On y parle d’appétit avec compétence, de plaisir avec sérieux, d’évasion avec déontologie”. Ce livre suggère de “renouer, grâce aux repas, une nouvelle forme de dialogue, voire de complicité, entre malades et familles, ce qui n’est pas un mince défi en la circonstance. En ces temps où la médecine est sans cesse en quête de l’humanisme dont parfois la technique la dépouille, cet ouvrage devra figurer en bonne place parmi les vade-mecum pour une vie meilleure”.
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