La pandémie au virus SRAS-COV-2 : Mutations et variations du virus

Par Michel CURE, administrateur et conseiller scientifique IRSI-PP

Créé en 2007, l’Institut de Recherche Stratégique pour la Protection des Populations (IRSI-PP) est un groupe pluridisciplinaire de spécialistes et professionnels des risques et de la prévention. IRSI-PP s’est donnée pour tâche d’apporter, avec un peu de recul, quelques éléments à la compréhension des mécanismes physiopathologiques responsables des pathologies polymorphes observées dans la COVID-19.

Le monde n’avait pas connu une pandémie d’une telle violence depuis celle de 1918-19 qui s’était soldée, au lendemain de la Grande Guerre, par des dizaines de millions de morts. Il s’agissait alors du virus influenza H1N1 qui fit à nouveau parler de lui lors de la “pandémie” de 2009.

L’histoire nous a enseigné que bien que l’on ait réalisé des progrès considérables dans la connaissance du monde microbiologique et de ses “accès volcaniques”, nous sommes souvent déconcertés face à l’émergence de nouveaux agents infectieux. En dehors de cercles scientifiques spécialisés, peu de monde avait entendu parler du coronavirus même si il avait fait parler de lui en 2003 (épidémie de SRAS en Asie essentiellement) et depuis 2012 (épidémie de MERS au Moyen Orient). Ces virus communs chez les mammifères et chez l’homme lors d’infections saisonnières (agents du rhume banal) restaient quasi inconnus du grand public.

Faire face à une telle menace nécessite la mobilisation de moyens multiples
comme le montre tous les jours l’actualité. Mais il n’échappe à personne que le socle de l’action doit reposer sur de solides bases scientifiques qui seules permettent de comprendre les mécanismes complexes sous-entendant le comportement de ce virus si particulier.

Les virus sont sujet à mutation

On regroupe en pratique sous le nom de mutation tout changement dans la structure du génome viral. Il peut s’agir :

  • de mutations ponctuelles : remplacement au sein du génome viral d’un ou plusieurs nucléotides pouvant aboutir à une modification conformationnelle de la protéine codée par l’ARN viral.
  • de délétions (perte d’un ou plusieurs nucléotides), d’additions ou de recombinaisons lorsque plusieurs génomes sont présents dans la même cellule.

Ces mutations résultent d’un fonctionnement imparfait du système de copie du génome lors de la réplication du virus. En règle générale, les virus ne disposent pas de système de réparation comme on peut les trouver chez les protocaryotes (bactéries…) ou les eucaryotes (cellules animales…). Dans le cas des coronavirus, Il s’agit de très gros virus à ARN dont le génome fait 3 fois la taille de celui des virus type hépatite C ou dengue et dont le génome code pour 16 protéines impliquées dans la réplication (4 ou 5 habituellement). La polymérase, enzyme de réplication du SARS-CoV, est assistée de deux co-facteurs indispensables. De plus, une exonucléase corrige les erreurs qui peuvent se produire au cours de la réplication. L’ARN du coronavirus est ainsi plus stable, sujet à moins de mutations que d’autres virus à ARN.

Après une transformation du génome, la majorité des virus formés va disparaître car la plupart des mutations lui sont défavorables, mais pour certains «variants» elles peuvent leur procurer un avantage sur la souche initiale. C’est ainsi qu’apparaissent de nouvelles souches dans différentes
lignées virales.

La mutation est donc un mode d’évolution pour un virus, en route vers son optimisation. À ce titre, et ce n’est pas une bonne nouvelle, le SARS-CoV-2 peut encore «s’améliorer».

Il existe dans le monde plusieurs milliers de variants du SARS-CoV-2 dont certains ont pu être groupés en clades. Les mutations importantes sont celles qui portent sur la protéine de liaison du virus à son récepteur, la protéine S, seules retenues dans cette présentation. Certaines sont critiques car elles vont modifier le comportement du virus ; elles aboutissent à des variants susceptibles de changer complètement le visage de la maladie.

Le potentiel de mutation virale augmente avec le nombre de réplications et la fréquence des infections humaines et animales. Par conséquent, réduire la transmission du virus et éviter son introduction dans les populations animales sont des aspects essentiels de la stratégie visant à réduire l’apparition de mutations ayant des implications négatives pour la santé publique.

Les problèmes posés par les variants du SARS-CoV-2

Le SARS-CoV-2 mute plusieurs fois par mois. La plupart de ces mutations sont «silencieuses» mais certaines donnent naissance à des variants pouvant peser sur la santé publique. Plusieurs de ces variants circulent dans le monde, surtout depuis l’automne 2020, et posent schématiquement trois types de questions :

  • le variant est-il plus ou moins contagieux ? La contagiosité conditionne l’épidémiologie (vitesse de développement de l’épidémie, population touchée…). Un variant plus contagieux prendra le pas sur la souche parentale.
  • le variant est il plus ou moins virulent ? La virulence conditionne la pathologie associée au virus et en particulier la gravité de la maladie.
  • le variant est-il immunologiquement identique, proche ou différent ? Cet aspect conditionne le diagnostic, la thérapeutique et la vaccination. Un atout pour les vaccins est de provoquer des réponses multiformes qui ciblent différentes parties du virus ; tout au plus, ces mutations pourraient, dans l’état actuel des choses, réduire quelque peu l’efficacité d’un vaccin.

Les variants

Des centaines de variants du SARS-CoV-2 ont été identifiés dans le monde, mais très peu ont nécessité une surveillance particulière en raison des risques potentiels dont ils pourraient être porteurs. Certains variants ont en revanche donné naissance à des souches émergentes, objets de toutes
les attentions voire de toutes les inquiétudes :

La mutation D614G*

La mutation D614G* est aujourd’hui la variante la plus répandue dans le monde. Apparue fin janvier – début février 2020, elle a en quelques mois remplacé la souche initiale du SARS-CoV-2 identifiée en Chine, devenant en juin la forme dominante du virus en circulation. Cette mutation s’est accompagnée d’une augmentation de l’infectiosité (capacité à pénétrer dans un organisme et de s’y multiplier) et de la transmission sans accroissement de la gravité. Cette souche ne modifie pas l’efficacité des diagnostics de laboratoire, des thérapies ni des vaccins.

La variante “Cluster 5”

La variante «Cluster 5», apparue chez le vison d’élevage en août – septembre 2020 et par la suite transmise à l’homme chez quelques sujets, a été identifiée dans le Jutland du Nord, au Danemark. Elle présente une combinaison de mutations non observées auparavant. Des études
préliminaires menées au Danemark font craindre que cette variante n’entraîne une moindre neutralisation du virus chez l’homme, ce qui pourrait potentiellement diminuer l’étendue et la durée de la protection immunitaire après une infection naturelle ou une vaccination. Pour l’instant, ce virus ne semble pas s’être largement répandu.

Le variant SARS-CoV-2 VOC 202012/01

Le variant SARS-CoV-2 VOC 202012/01 (Variant of Concern, année 2020, mois 12, variante 01) ou souche 20B / 501Y.V1 ou VUI-202012/01 (VUI = Variant Under Investigation), lignée B.1.1.7 a été signalé le 14 décembre 2020 par les autorités du Royaume-Uni. Ce variant contient 23 substitutions de nucléotides dont la mutation N501Y, et n’est pas phylogénétiquement apparenté au virus SARS-CoV-2 circulant au Royaume-Uni au moment où le variant a été détecté. Initialement apparu dans le sud-est de l’Angleterre, il a commencé à remplacer d’autres lignées virales dans cette zone géographique, à Londres et au-delà. Ce variant a augmenté sa transmissibilité sans changement dans la gravité de la maladie (durée d’hospitalisation, mortalité). Une autre des mutations du variant, la délétion à la position 69 / 70del s’est avérée affecter les performances de certains tests PCR diagnostic, mais la plupart utilisant plusieurs cibles, l’impact du variant ne devrait pas être significatif. On ne connait pas avec précision les conséquences de l’ensemble de ces mutations sur les propriétés du virus ; cependant un gain d’efficacité dans la transmission de l’ordre de 70% a été estimé qui paraît un peu plus marqué chez les jeunes (à vérifier en raison de biais liés aux modes de gestion particuliers de cette population, en particulier le maintien de l’ouverture des écoles en situation de confinement). Avec un taux de croissance élevé ce variant a conduit à déclarer l’épidémie hors de contrôle (il est présent dans plus de 57 pays ou territoires à la mi-janvier 2020) et à prendre des mesures de contrôle de l’épidémie drastiques. En France, les experts s’accordent sur la possibilité d’un développement exponentiel de cette souche pouvant devenir dominante en 2 mois.

Le variant 501Y.V2

Le variant 501Y.V2 ou souche 20C / 501Y.V2 ou lignée B.1.351 a été détecté (annonce du 18 décembre 2020) en Afrique du Sud. Il s’est propagé rapidement dans trois provinces du pays. Son nom découle de la présence d’une mutation N501Y que l’on retrouve aussi chez le SARSCoV-2 VOC 202012/01 du Royaume-Uni, mais les variants des deux pays proviennent de virus phylogénétiquement différents. Au cours de la semaine du 16 novembre 2020, le séquençage de routine a révélé que cette nouvelle variante du SRAS-CoV-2 avait largement remplacé d’autres souches du SRAS-CoV-2 circulant dans le pays. Deux autres mutations (K417N et E484K) sont présentes dans cette variante. Ce virus semble associé à une charge virale plus élevée, d’où un potentiel de transmissibilité accru. Il n’existe pas de preuve flagrante que ce variant soit associé à une maladie plus grave ;
des investigations supplémentaires sont nécessaires, mais on sait qu’il échappe partiellement à la vaccination tout comme les variants possédant les mutations E484K ou N501Y ou la combinaison K417N/E484K/N501Y. Cette souche est à ce jour présente dans plus d’une vingtaine de pays.

Le variant P1

Un variant P1, porteur d’une mutation E484K, a été identifié au Brésil entre le 15 et le 23 décembre 2020. Descendant du lignage B.1.1.28, il renferme notamment dix-sept changements en acides aminés, trois délétions et une insertion ; il renferme en outre les mutations K417T et N501Y. Son développement et sa signification ne sont pas connus.

Un variant au sein de la lignée B.1.1.28

Un variant au sein de la lignée B.1.1.28 a été signalé au Japon le 9 janvier 2021 chez 4 voyageurs en provenance du Brésil. Ce variant présente 12 mutations de la protéine S dont 3 sont communes avec SARS-CoV-2 VOC202012/01 (Royaume-Uni) et 501Y.V2 (Afrique du Sud). (K417N/T, E484K et N501Y). Cependant, ce variant est apparemment indépendant du variant P1. Ces mutations impactent la transmissibilité et l’immunogénicité du virus.

Autres variants

  • Un variant porteur d’une mutation P681H a été identifié au Nigéria. Cette mutation est présente sur le variant anglais, mais les virus n’ont pas de lien de parenté.
  • Un variant L452R variant identifié à Santa Clara California et d’autres variants aux USA.
  • Un variant détecté en Allemagne (Bavière). L’étendue géographique de diffusion de ces variants est probablement sous estimée car elle dépend avant tout des capacités de surveillance et de séquençage des virus disponibles dans les pays concernés.

Signification de quelques mutations notables

D614G

Dans cette mutation, présente dans de nombreux pays, la glycine (G) a remplacé l’acide aspartique (D) en position 614 dans la protéine spike (S), ce qui semble accroître modérément le taux de transmission. La souche correspondante du SRAS-CoV-2 est devenue très tôt dans le déroulement de la pandémie la forme dominante dans le monde. Les variants contenant cette mutation font partie du clade G (GISAID, Global initiative sharing avian influenza data) et du clade B.1 (PANGOLIN, Phylogenetic Assignment of Named Global Outbreak LINeages). La mutation D614G a un effet modéré sur la transmissibilité du virus ; elle est suivie au niveau international.
Cette mutation est en corrélation avec la prévalence de l’anosmie observée chez de nombreux patients.

N501Y

Mutation particulièrement inquiétante (VOC) qui s’accompagne d’une affinité de liaison accrue aux récepteurs ACE2 humains et murins. Elle est présente dans les lignées B.1.1.7 (Royaume-Uni), B.1.351 (Afrique du Sud).

E484K

Cette mutation est présente dans les variants sud-africain et brésilien. Elle semble rendre les anticorps humains moins efficaces pour neutraliser le virus. L’emplacement de la mutation a un impact important sur la capacité des anticorps à neutraliser le virus et représente le «site le plus préoccupant pour les mutations virales».

69-70del

Encore appelée ΔH69/V70. Mutation particulièrement inquiétante résultant de l’épidémie liée aux visons d’élevage et présente sur le variant anglais.

Q677H

Située au sein de la protéine spike à proximité immédiate du site de clivage de la furine (rôle essentiel dans les premières étapes du processus d’entrée du virus dans les cellules).

Autres mutations

  • L425R : Mutation apparue au Danemark en mars 2020 et retrouvée en Californie en mai.
  • P681H : Cette mutation, particulièrement inquiétante, est située au site de clivage de la furine.
  • N439K et Y453F : Ces deux variations peuvent être des mutants d’échappement à certains anticorps neutralisants.

Conclusions

  1. Malgré un taux faible de mutations en raison d’un dispositif de contrôle de la réplication virale présent au niveau du génome, un certain nombre de variants significatifs du SARS-CoV-2 ont émergé au cours de ces derniers mois.
  2. Certains des variants, porteurs de la mutation N501Y, sont associés à une contagiosité plus forte du virus. D’autres comportant les mutations E484K, K417N/T, E484K et N501Y, pourraient en outre échapper aux anticorps, au moins partiellement.
  3. Ces constats n’augurent rien de bon pour les prochains mois ; 2021 pourrait être ainsi l’année des variants. Le virus n’étant pas à son optimum pourrait encore poursuivre son adaptation à l’homme.
  4. Heureusement, l’arrivée de vaccins modifiables dans des délais relativement courts, est susceptible d’atténuer le développement incontrôlé de l’épidémie.
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