Repas en famille

Alimentation en fin de vie : ouvrons les frigos

Le Dr. Marc MAGNET, médecin coordonnateur au sein de notre service HAD et EMSS et spécialisé en soins palliatif nous livre son témoignage sur l’alimentation en fin de vie : pour un appétit de vivre et de partager.

Force est de constater qu’il nous est indispensable de nous alimenter, de manger pour vivre, et parfois pour bien vivre. Combien de situations de notre vie autour d’un bon repas, des instants de fêtes, de partage en famille ou au sein d’autres groupes constitués lors de notre parcours de vie. Une certaine façon de tisser les liens sociaux dans notre société.

Et fait particulier, ne sommes-nous pas, à Lyon, citoyens de la « capitale mondiale de la gastronomie » ? Ville où vécurent Rabelais et Paul BOCUSE, ville où du matin commençant par le Mâchon et jusqu’au soir tard nous allons de bistros en tables étoilées accueillis par autant de chefs et Mères attentionnés.

Belle vie, bonne santé par la table

Le matin ne nous soucions nous pas déjà de ce que sera notre déjeuner, notre dîner. Une vie en bonne santé, une belle vie ne se passerait-elle pas bien souvent à table…

Notre vie ne commence-t-elle pas souvent par un biberon qu’il faudra finir, puis d’une viande dont le sort sera identique, puis un peu plus tard une soupe et puis « encore une cuillère, tu ne vas pas laisser ça … » ?

Il faut finir, il faut manger car « comment bien grandir, aller mieux, se rétablir si l’on ne mange pas ? ». Combien de familles ne nous ont-elles pas dit la place de l’alimentation dans leurs cultures, leurs traditions.

L’alimentation ici naturelle, familiale, festive mobilise le groupe, la société et il n’est pas rare également de la considérer comme un outil de négociation, d’opposition (grève de la fin ou lors du refus de s’alimenter dans une situation de grande solitude, de détresse).  Alors « qu’adviendra-t-il si une personne ne mange plus ? Que se passe-t-il ? N’existe-t-il pas un risque de dénutrition… ? ». Un risque ou plutôt une réalité inéluctable qu’il nous faut reconnaître, accepter en accompagnant ce proche dont la fin de vie approche.

Dénutrition : Accompagnement d’un patient

Pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la dénutrition représente l’état d’un organisme en déséquilibre nutritionnel. Le déséquilibre nutritionnel est caractérisé par un bilan énergétique et/ou protéique négatif. La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié de nombreuses recommandations en ce domaine. Pour autant ce déséquilibre peut-il être compensé ?

À ce stade avancé de la maladie et dans un contexte de soins palliatifs, il s’avère impossible pour le patient de retrouver « l’équilibre nutritionnel ». Bon nombre de publications et nos connaissances actuelles sur la question l’approuvent. Ainsi, nous avons le devoir d’accompagner ce patient, cette famille, dans une démarche de compréhension, d’acceptation de cette limite. Le projet de soin devra alors parler de confort, d’alimentation plaisir où le patient ne sera pas contraint, obligé, parfois limité dans son autonomie par des dispositifs de cathéter, de pompe dont nous savons également les dangers qu’ils représentent. Et que dire des Compléments Nutritionnels Oraux (CNO) ? 

La famille : un acteur au cœur du soin

Rappelons-le, nous intervenons à domicile. Alors OUVRONS LES FRIGOS ! Nous n’en serons pas moins compétents, sérieux, professionnels, tout est là…de quoi faire un flanc aux œufs, un lait de poule, de préparer une petite cuillère de confiture, un chocolat peut-être et pourquoi pas l’accompagner d’un petit verre de porto. Accompagnons les familles, mais également apprenons aux soignants, auxiliaire de vie, aide-soignante, diététiciens, infirmiers et médecins à s’inscrire dans ce projet.

La famille redevient acteur du soin, prépare un temps, un espace convivial, de petites portions, les décore, les présente dans de petites assiettes. Elle ne vient pas « faire manger le patient », elle partage un instant avec lui. Il se peut que l’assiette ne soit pas finie. Peu importe ! Il n’y a pas ici de calories nécessaires mais la notion indispensable d’un partage possible, d‘un instant de plaisir, de respect de ce qui est possible, acceptable pour le patient. 

Alors prenons conscience de la souffrance ajoutée, pour ce patient, que représente cette obstination déraisonnable à vouloir le « faire « manger ». Il ne « mourra pas de faim ». Cette inquiétude est bien souvent exprimée par les familles. Mais combien sa fin de vie, de même que le lien que nous gardons avec lui, pourraient être plus paisibles, nous préparant ainsi à cette issue bien difficile à accepter. Alors « ouvrons les frigos » mais sans obligation et sans l’indispensable certitude d’y trouver quelques chose…Pensons y seulement. Un petit plus de plaisir peut être…
« Osons des mots d’espoir ».

Alimentation en fin de vie : pour aller plus loin

Je vous conseille le livre « Cuisiner le plaisir » ouvrage auquel j’ai participé et qui traite de l’alimentation en fin de vie. Cet ouvrage est préfacé comme suit par Mr. Claude EVIN, ancien Ministre : “On y parle d’appétit avec compétence, de plaisir avec sérieux, d’évasion avec déontologie”. Le livre suggère de “renouer, grâce aux repas, une nouvelle forme de dialogue, voire de complicité, entre malades et familles, ce qui n’est pas un mince défi en la circonstance. En ces temps où la médecine est sans cesse en quête de l’humanisme dont parfois la technique la dépouille, cet ouvrage devra figurer en bonne place parmi les vade-mecum pour une vie meilleure”.

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